L’épuisement professionnel – ou burn out – fait désormais partie de notre vocabulaire familier, et même si peu de statistiques existent il concerne tous les corps de métier. Les dirigeants et les cadres (qui sont d’ailleurs également touchés) doivent prendre ce sujet à bras le corps – les entreprises en ont l’obligation légale d’ailleurs.
Je souhaite aujourd’hui ouvrir le débat sur le terme employé à tour-de-bras pour aborder ce sujet : celui de BIEN-ETRE au travail, un terme selon moi mal choisi et contre-productif.
Bien-être, une évaluation personnelle qui dépasse le cadre de l’entreprise
Le bien-être psychologique est issu d’une évaluation personnelle et subjective qui peut provenir de satisfactions diverses, financières, professionnelles, sentimentales…
Il est donc fortement lié à la perception de l’individu de ces satisfactions, et englobe une sphère au-delà de la sphère professionnelle. Le terme de bien-être était d’ailleurs jusque-là réservé à la sphère privée.
Aborder les risques psychosociaux par le sujet du bien-être au travail est prendre le risque de poser une question à laquelle l’entreprise ne pourra jamais donner de réponse.
Bien-être, une notion qui implique la notion d’absence de peine
Il est illusoire d’imaginer un travail sans peine, ou plutôt sans complexité à résoudre. Encore une fois le risque est de faire une promesse que l’entreprise ne pourra jamais tenir.
De plus, dépasser les résistances rencontrées, trouver des solutions à cette réalité du travail qui résiste dans son quotidien, est l’occasion de forger son style professionnelle, de découvrir nos aptitudes, connaître sa valeur. Bref, c’est là une source de l’épanouissement au travail… à la condition évidente que ces contraintes restent gérables.
Un risque supplémentaire de scléroser la créativité
Pour citer Yves Clot, psychologue du travail, c’est la réplique créative qui nous fait grandir. Vouloir encadrer cette notion de bien-être, et donc en déposséder les salariés, c’est proposer une solution unique à des personnes qui ont des besoins et des perceptions différentes. Pire, c’est les enfermer dans une victimisation contre-productive, le risque psychosocial étant alors comme un virus que l’on attraperait, comme une approche hygiéniste du problème.
Alors comment aborder ce sujet ?
Les entreprises ne doivent donc pas assurer le ‘bien-être’ des salariés, elles doivent garantir aux salariés qu’ils pourront réaliser leur mission ‘en santé’.
Comment faire ? Aborder ce sujet par le métier, par l’activité, plutôt que directement sur la notion de risque psychosocial, qui revient à ouvrir la boite de Pandore. Il s’agit d’ancrer toute réflexion sur ce thème dans une réalité professionnelle liée à la pratique – concrète – de son métier. Je vous propose ici deux leviers :
- Remettre le métier au coeur du quotidien des salariés : retrouver la notion de sens dans la réalisation de leur mission, et valoriser les savoir-faire.
- Remettre du collectif dans le travail, par de l’échange de pratique, et en développant le sentiment d’appartenance à un genre professionnel.
Vous retrouverez également des préconisation sur le site de l’INRS.
Quelque chose à inventer pour aborder le sujet des risques psychosociaux ? Non, plutôt des ressources à trouver en nous, dirigeants, cadres, salariés, en s’appuyant sur nos métiers. Ce sujet vous intéresse ou vous interpelle ? Echangeons ! Postez un commentaire ci-dessous, ou contactez-moi.
Nathalie Ayet
Fondatrice de Mètis
Plus qu’un billet d’humeur, ce texte est central puisqu’il remet en question l’expression de la notion de « bien-être au travail ». On peut même oser dire qu’il devient clairement contre-productif de par les limites de réflexions, de raisonnements et d’actions qu’il impose.
A mon sens, si ce percutant texte de Nathalie AYET ramène vers un nouveau questionnement et débouche vers le choix et l’adoption d’une nouvelle notion, il aura amorcé un début de sensibilisation (éveil) à la qualité de vie et à une éthique au travail.
Le « bien-être » est un état passager voire une sensation où le corps et l’esprit se trouvent en phase. Toutefois, en aucun cas il s’agit de croire qu’on peut faire du bien-être un état éternel, et ce, quelles que soient les bonnes intentions des entreprises et les méthodes de bien-être déployées. On peut tout au plus permettre à un moment donné, de vivre ce sentiment, cette sensation de bien-être, laquelle demeurera toujours éphémère et focalisée sur l’instant.
C’est là où, en effet, pour appuyer un des arguments de Nathalie AYET, il serait fort illusoire de penser atteindre une telle « performance ».
Quelles sont les raisons du choix inapproprié de bien être ?
L’usage de la notion de bien-être au travail reprise banalement par tous et visée par les entreprises est simplement représentative de l’état d’esprit de la société actuelle et de sa dynamique économique. L’idéal que l’ont retrouve à travers d’autres notions telles que performance, excellence, toujours mieux, toujours plus, toujours moins cher ! devient une exigence, une norme sociale comme le souligne Marie-Anne Dujarier (sociologue au Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique, Cnam).
Bien-être n’est que dans la continuité de ce schème de pensée, cette norme que nous adoptons mais qui se trouve en même temps et de plus en plus, en contradiction avec le fonctionnement et les aspirations humaines.
Par ailleurs, un tel idéal ne tient pas compte de mouvements continuels qui obligent l’homme à toujours s’efforcer de s’adapter à son environnement. Autrement dit, ce sont dans ces interactions entre l’homme et son environnement et réciproquement que résultent de perpétuelles mutations. Ainsi, si le bien-être (sous-entendu éternel) était possible, il faudrait qu’il puisse d’abord naître dans un environnement et avec des individus figés. Or, le cours de la vie est dans son parcours, c’est-à-dire dans ses évolutions, ses phases de régressions, ses pauses jamais figées, qu’on appelle également des temps de régulation… Il faut donc tenir compte du mouvement et de cet aspect toujours changeant se situant à la fois entre les individus, leur for intérieur et l’entreprise (environnement et l’altérité) pour prendre conscience que le bien-être durable est bien un idéal, qu’il n’est toutefois jamais possible d’atteindre, précisément parce qu’il est un idéal, mais auquel nous devons continuer d’aspirer.
Que fait-on à présent que nous brisons une telle illusion ?
Il n’est aucunement question d’amener vers une désillusion, mais de modifier une partie de notre conception et notre approche du monde organisationnel à commencer par le choix des mots.
Il suffit pour cela de commencer par changer la notion choisie de bien-être et de la remplacer par la notion de « MIEUX-ETRE », une notion plus appropriée et qui n’empêche pas pour autant d’aspirer au bien-être. Car il apparaît humain d’avoir des idéaux, des aspirations vers lesquels nous tendons et qui, bien que jamais atteints, permettent à l’homme d’évoluer et de s’élever toujours un peu plus.
La notion de mieux être nous apparaît ainsi plus judicieuse et tient compte des subjectivités de chacun et des évaluations personnelles. Nos états diffèrent les uns des autres et il s’agit non pas d’inventer un bien-être commun à tous avec une sorte de notice, mais, pour en revenir à l’entreprise, de faire toujours en sorte que chacun puisse s’activer dans un environnement de travail sain. Et outre, de favoriser l’accès au mieux-être aussi bien pour des individus mal que des individus dans un état positif.
Cette notion tient compte de perspectives d’évolution et même d’accomplissement de soi à travers le travail.
Enfin, le mieux-être ne s’adresse pas qu’à des personnes « malades » ou en mauvaise santé. Notre conception occidentale du stress et du bien-être au travail reste encore trop hygiéniste, de telle sorte que même l’approche psychologique du stress ne parvient pas complètement à s’en affranchir.
Ainsi, ceux qui commencent à s’interroger à la question du mieux-être plus qu’à celle du bien-être, vont se trouver à réfléchir automatiquement aux alternatives préventives plutôt qu’uniquement curatives. S’intéresser au mieux-être c’est réfléchir à des solutions qui se situent avant toute chose dans la prévention primaire, secondaire avant de tomber dans le curatif (prévention tertiaire). Or, si nous ne sommes pas nécessairement dans le curatif, mais dans le préventif, cela signifie qu’on va à la quête des/du plaisir(s) et de ce qui s’attache uniquement à ce qui est proprement humain. C’est ce que l’empire romain, au Ier siècle avant J.C nommait l’otium. Il y a là beaucoup à méditer.
C’est là où nous touchons au dernier point soulevé par Nathalie AYET. Il est pour nous, le point le plus important, auxquels tous ceux qui souhaitent réfléchir et agir pour le mieux-être au travail, doivent s’intéresser. Avant de parler d’innovation, il s’agit de revenir sur la notion de créativité. Spécificité de l’homme, fédératrice, universelle, elle est un important chantier vers lequel il devient impératif de nous y pencher. Elle est la clef.
Merci à Nathalie AYET pour cet article qui cible de manière efficace et très pédagogique l’une des problématiques centrales du monde du travail, à commencer par le choix des mots que nous utilisons et qui ne sont pas anodins.
Pour ceux qui ont eu le courage de lire jusqu’au bout l’article de Nathalie et ma propre réponse, se faisant l’écho de ce dernier, persistez-vous toujours à penser que la notion de bien-être soit appropriée ? Même si nous disons « bien-être », pensons « mieux-être », pour ne pas nous méprendre. Nous serons plus à même de trouver les solutions adéquates.
Merci Ghizlaine pour votre commentaire, qui enrichit considérablement la réflexion.
J’apprécie votre proposition du terme ‘mieux-être’, qui permet d’intégrer la notion de mouvement et nous permet de retrouver une capacité d’action.
Vous avez raison, la notion de créativité que vous évoquez est centrale dans le retour à un agir. Notre capacité à créer est permanente, même dans notre travail ordinaire, même dans la recherche de solutions à des problématiques banales et quotidiennes. Nous créons tous les jours sans forcément en avoir conscience. La souffrance commence quand cette créativité se sclérose. Retrouver notre capacité à créer, renouer avec cette aptitude intrinsèque à l’Homme, c’est avancer vers le mieux-être.
Merci Ghizlaine pour cette importante précision.
Pour info.
Conférence(s) sur « COMMENT CONCILIER PERFORMANCE D’ENTREPRISE ET BIEN-ETRE DES COLLABORATEURS ? »
Date :
Lundi 27 Mai 2013
Lieu :
Auditorium Etienne Pernet – MACIF
17-21 place Etienne Pernet
75015 Paris
Remarques:
il est bien question sur le site de bien-être et performance…
Au Canada seraient-ils légèrement plus avancés?
Sur le site de l’Ordre des Conseillers en Ressources Humaines Agréés (CHRA) il est question de mieux-être et non plus, presque plus de bien-être.
Pour info. 1ER CONGRES INTERNATIONAL FRANCOPHONE DES RESSOURCES HUMAINES le 12 et 13 novembre, et en partenariat avec l’ANDRH!
Intéressant de confronter les discours de ceux qui parlent encore de bien-être (et pense bien-être) aux discours de ceux qui parlent mieux-être.
2 événements intéressants qui montrent que nous sommes au coeur des problématiques des entreprises et du travail.
A nos agendas!
Merci Nathalie pour le contenu de vos dernières remarques complémentaires.
Mais n’oublions pas qu’avant l’action, la création précède la créativité, le mouvement…soignons ce qui précède, à savoir le processus, le mouvement, et donc, la créativité (être et devenir) avant d’en venir à l’action, la création (faire et construire).
Au delà des concepts sociaux et sociétaux le bien-être est une quête permanente qui pousse l’Homme à avancer vers son avenir, toutefois cette quête ne peut être conduite seule, elle doit être œuvre commune et l’addition concertée de la Cohésion de l’Adhésion et de la Participation, sans quoi toute œuvre est vouée à l’échec.
Merci Marc pour votre commentaire. L’Homme possède une grande force : sa capacité créative. Le risque dans les entreprises est de vouloir ‘réguler’ ce bien-être, par des lois, des règles, des modes de management. L’issue : permettre à cette créativité ‘ordinaire’ de pouvoir s’exprimer, et comme vous le soulevez très justement, l’intégrer au collectif et à cette oeuvre commune qu’est l’entreprise.